Saturday, December 28, 2013

Crooner oriental, Lili Boniche (1921-2008): lots of biographical info, but in French



 When I was writing up my previous post on Lili Boniche I was hunting for more bibliographical information. And I found this short youtube video where he is interviewed, but more interesting and a much longer text was the "histoire" of Lili Boniche that was posted along with the video. (I don't know what the original source is.) I reproduce it below, along with some other texts (from Le Monde, Hommes et Migrations, and L'Humanité) that I have hunted down and saved over the years. They are all in French, but I will briefly discuss some of the high points at the end of the post.

#1

«Mon père était kabyle. Quand il parlait avec sa mère, nous, les enfants, n'y comprenions rien. Il était bijoutier à Alger et jouait merveilleusement de la mandoline, pour les amis et la famille. Il ne voulait pas que j'y touche, mais, dès mes 10 ans, je la volais régulièrement quand il n'était pas à la maison», raconte Lili Boniche, enfant de la Casbah, roi et père juif d'un croisement de chants en arabe et en français qu'il a inventé dans les années 40. Le cheveu toujours couleur henné, mais le dos un peu voûté et le trait flapi, il a encore faim de scène: alors qu'à 78 ans on pensait lui rendre un ultime hommage à l'Olympia, Lili revient de Suisse en attendant d'aller jouer à Stockholm. «A Tokyo, les musiciens japonais ont fait la queue pour me demander comment je faisais pour réunir des choses si différentes.» A savoir, les fruits sucrés de noces entre langueur arabo-andalouse, prière flamenco, frénésie afro-latine, roucoulade argentine et légèreté chansonnière. Métissage (dans lequel excellent surtout les musiciens juifs du Maghreb) né aux alentours des années 20 à Beyrouth, puis transporté à Alexandrie et au Caire, cette tambouille sera reprise en version nord-africaine par Lili Boniche: «Je jouais dans les fêtes familiales. Mais vers minuit, voyant les gens s'assoupir, je me demandais comment les réveiller. Je me suis alors mis à écrire des chansons mélangeant français et arabe. Bref, du "francarabe.» Un genre qui risque bien de disparaître avec ses créateurs, faute de relève.

Lili d'Alger. Pas encore adolescent, Lili (Elie, en réalité) connaissait parfaitement Zid 'amar el kess ya 'omri («Remplis encore mon verre ô ma vie»), une chanson de Saoud l'Oranais, maître de la musique arabo-andalouse qui tenait un café fréquenté par les mélomanes dans le quartier juif. Un jour où Saoud l'Oranais (El Médioni de son vrai nom) était venu donner une grande soirée à Alger, Lili interpréta devant lui sa chanson. «Il a proposé à mon père de m'emmener. J'ai passé trois ans chez lui à apprendre les subtilités et les dérivés de la musique andalouse, jusqu'à l'année de ma communion (Boniche ne dit pas bar-mitsva, ndlr).» De retour dans sa ville natale, Boniche intègre diverses sociétés musicales, poursuivant son apprentissage auprès de maîtres comme Mohamed Chitane, Lili Labassi ou Mahieddine Bachtarzi. «A 15 ans, je suis parti frapper à la porte de Radio Alger. Le directeur, M. Azrou, a accepté de m'écouter cinq minutes dans un studio. J'ai joué pendant vingt minutes. Il m'a dit: "Tu reviens dans deux semaines. Ainsi m'a-t-on confié une émission hebdomadaire d'une heure où je jouais en direct le répertoire arabo-andalou.» Au milieu des années 40, la réputation de Lili traverse la Méditerranée, quand le Soleil d'Algérie, un cabaret de la rue du Faubourg-Montmartre de Paris, l'engage. «Il y avait un client qui venait pratiquement chaque soir, toujours accompagné d'une dizaine de copains. C'était François Mitterrand. Vers minuit, il me disait: "Je dois aller à l'Assemblée nationale, je reviens à 2 heures. Lili, restez là. D'ailleurs, dans les années 80, Roger Hanin m'appelait souvent pour me dire: "Il y a Tonton qui veut te voir. J'allais chez Mitterrand qui me demandait de lui jouer pratiquement toutes les chansons de mon répertoire.»

Silencieux par amour. Au Soleil d'Algérie, Boniche rencontre aussi une riche comtesse qui s'amourache de lui: «Elle m'a dit: "Je ne veux pas que tu chantes. Je suis donc revenu avec elle, en 1949, à Alger, où j'ai acheté quatre cinémas. Ça a bien marché jusqu'aux "événements," et nous avons quitté le pays en 1962, année de l'indépendance, en laissant tout.»

A Paris, Lili Boniche se reconvertit dans la restauration d'entreprise, 300 couverts au début, «18 000 dix mois plus tard». Au bout de dix ans, il bifurque vers les fournitures de bureau, avant d'abandonner les affaires. «Je ne faisais plus rien, juste chanter pour les amis. Je suis revenu sur scène à la fin des années 80. Je vis en France depuis près de quarante ans, et mes seuls amis sont ceux de là-bas. Ils viennent régulièrement chez moi à Cannes. On se fait de grands repas et on joue pendant des heures. Je prie tout le temps pour que la paix revienne en Algérie. Je voudrais tant y chanter avant de mourir.».



#2

Lili Boniche Renaissance D'une Star De La Casbah D'Alger: L'homme a tout faire

By Veronique Mortaigne
Le Monde, May 2, 1991

[the copy I have is missing the accents, and I've tried to fix that, but it's still not perfect...]

En 1933, le jeune Elie - dit Lili - Boniche joue de la mandoline dans la basse casbah d'Alger, ou l'on pratique le shaabi, un derive populaire de la musique classique arabo-andalouse, traces preservées de la communaute juive d'Espagne, contrainte au retour en Afrique du Nord avec les derniers Maures a la fin du quinzieme siecle. Le garnement en culottes courtes a du talent. M. Boniche père confie son rejeton a Saoud l'Oranais, un des grands maitres du genre arabo-andalou, dont l'eleve la plus rayonnante s'appelle alors Reinette l'Oranaise. De lui, Lili apprendra le luth et tous les ressorts de ce "classique de société", le haouzi, version plus rurale du chaabi algerois, née dans les faubourgs de Tlemcen.

Reinette reste a Oran, Lili revient a Alger. Deux ans plus tard, a quinze ans et demi, Lili Boniche et son orchestre commencent a ecumer les nuits de la ville blanche. M. Azrou, directeur de Radio-Alger, leur offre une tranche d'une heure hebdomadaire l'après-midi, un espace reserve au chaabi, mais aussi a la tradition classique heritée des noubas judeo-espagnoles, que Lili a etudiée avec Mohamed Chitan ou Mahieddine, dans les sociétés musicales de la Moutribia et d'El-Moussilia.

Lili Boniche, aujourd'hui un homme svelte au sourire etincelant, a le temperament charmeur, le coeur sur la mainet la parole facile. "Chez nous, les soirées duraient jusqu'a trois heures du matin. A minuit, les pauvres, je sentais qu'ils s'enquiquinaient avec le repertoire classique. Je ne pouvais pas les laisser comme ça." Et Lili sort alors de sa musette quelques farces en "francarabe," conviviales, dansantes, abandonne le luth pour la guitare, adapte des tangos, des paso doble, des istihbar (preludes de flamenco) a tour de bras, compose de genereuses complaintes (Alger, Alger) et met des couleurs endiablées sur des chansons de mariage.

Arrive la seconde guerre mondiale. Lili Boniche est célèbre au Maghreb, fait des tournées et anime le theatre aux armées. Tous les lundis, galas a l'opera d'Alger pour les militaires. Les generaux, "Moravilia, Weiss, ils sont tous la". En 1946, il tente l'aventure parisienne. Au Soleil d'Algerie, cabaret proche de la place Pigalle, il se produit avec un pianiste. "Ca ne desemplissait pas, se souvient Lili, un tantinet emphatique. Des ministres, des stars, des deputes, des clients extraordinaires. Deux ans de succes. Et puis, je me suis fait kidnapper." Eh oui, Lili Boniche fait un beau mariage...

Le chanteur de charme raccroche sa guitare et se lance dans les affaires. De retour a Alger en 1950, il devient proprietaire de quatre salles de cinema du centre-ville. Avec les premiers attentats en 1958, les salles se vident. "Mais, moi, je n'ai jamais eu une seule bombe." L'independance le ramene a Paris. Entre deux reunions du conseil d'administration de son entreprise de restauration industrielle installée au Pre-Saint-Gervais, "Monsieur Boniche" fait des soirées, "decontractées, quand je voulais, des mariages, des communions", dans la communaute juive maghrebine de Paris.

Apres une faillité fatale ("Que voulez-vous, le batiment s'est ecroule!"), une reconversion dans les fournitures de bureau pour les administrations, Lili Boniche chanteur est redecouvert, il y a deux ans, par Francis Falceto, un des artisans de l'introduction des musiques du monde a Bourges, et Michel Levy, l'agent de Reinette l'Oranaise, recent repreneur du catalogue Doumia, label qui avait regroupé jusqu'a l'independance les plus beaux defenseurs de la musique des juifs d'Afrique du Nord. Un passage a Bordeaux, a l'occasion du Festival MELA, des teles, les honneurs de France-Culture, le succulent arrangeur de Bambino et de C'est l'histoire d'un amour en arabe se refait une seconde jeunesse. Pour Bourges, il s'est entoure d'une formation "modernisée" (piano, violon, basse electrique, batterie et guitare). Lili, l'oeil vif et la confiance a toute epreuve, a repatiné ses succes a la couleur du jour, moins franchement "francarabes", mais toujours aussi entrainants.


#3 

Algérie andalouse : Lili Boniche et El Gusto (excerpt)
by François Bensignor
Hommes et migrations 1295 (2012)

available through open source here

Lili Boniche (1921 - 2008)

Né dans une famille modeste, Élie, que l’on surnomme affectueusement Lili, était l’aîné de quatre enfants. Très jeune il est devenu le soutien de la famille. Son père était un artisan joaillier. Ayant perdu la vue, il ne pouvait plus exercer son métier. C’est donc au jeune aîné de la famille que revint la charge d’entretenir ses parents, frères et sœurs. Originaire d’Akbou en Kabylie, le père d’Élie Boniche était aussi un bon joueur de mandole. Dès l’âge de 7 ans, Lili lui chipe son instrument pour aller s’exercer sur le toit de la maison. En petit prodige et pur autodidacte, il rejoue d’oreille toutes les chansons qu’il entend chanter dans les cafés ou à la TSF. Et sa voix enfantine s’élève au-dessus des toits de la Casbah d’Alger.

L’immeuble qu’habite la famille Boniche se trouve au bas de la Casbah, rue Randon, une rue animée, dans laquelle vivent principalement des familles juives. Elle relie la place Rabbin-Bloch, où se dresse la grande synagogue, à la place de la Lyre avec son grand marché couvert. Dans la Casbah, on vit dehors et le petit Élie est toujours attiré par les cafés maures d’où proviennent ces musiques qui le charment. Une voix le fascine tout particulièrement, celle de Messaoud Medioni (1893-1943), dit Saoud l’Oranais. C’est un grand maître de la musique arabo-andalouse, notamment du genre haouzi, développé à Tlemcen où s’est perpétuée depuis le XVIe siècle l’école de Cordoue, et dont la transmission s’est répandue de maître à disciple jusque dans la région d’Oran.

En 1931, Lili profite d’un passage à Alger du chanteur oranais pour se présenter devant lui. Quand le jeune garçon donne de la voix, le maître Saoud, subjugué par le diamant brut qu’il vient de découvrir, décide de prendre en main sa formation en l’intégrant à son orchestre. Quelle meilleure école pourrait-il trouver? Juif, comme beaucoup de grands musiciens algériens, Saoud Medioni entend transmettre son savoir à de jeunes musiciens qui partagent la même confession. Reste à convaincre le père de Lili, qui refuse de voir son aîné s’embarquer dans une carrière de musicien...Alors qu’il se montre intraitable, Élie s’effondre en pleurs et supplications, si bien qu’il parvient à fléchir la raideur de son père. Saoud sait également trouver les mots pour obtenir son assentiment, en annonçant qu’il prend en charge tous les frais du garçon, qui recevra en outre un salaire mensuel. À dix ans, Lili rejoint ainsi l’orchestre d’un des plus célèbres chanteurs de l’époque qui lui permet de contribuera l’entretien de sa famille. Au sein de la troupe, il rencontre une autre jeune disciple, de six ans son aînée, Sultana Daoud, que le maître a surnommée Reinette. Elle a perdu la vue à l’âge de 2 ans et se fera connaître sous le nom de Reinette l’Oranaise. Sur scène, Lili joue du mandole, puis du oud et s’initie surtout à la spécialité du maître: le répertoire complexe et étendu du chant oranais, hérité du haouzi. Durant trois ans, il va suivre son maître dans les galas qu’il donne à travers tout le Maghreb, sans retourner chez lui.

Les débuts à la radio

13 ans, c’est l’âge où les adolescents juifs songent à faire leur barmitsva, rite religieux marquant l’accession à l’état de personne à part entière dans la communauté. Élie demande au maître l’autorisation d’aller fêter ce moment de passage symbolique en famille à Alger. Non seulement il l’obtient, mais Saoud en personne animera la fête. Afin de compléter ses connaissances dans le domaine de la musique arabo-andalouse, Lili va alors s’initier au sein des deux plus grandes associations musicales algéroises de l’époque, El Moutribia (fondée en 1911) et El Mossilia (fondée en 1932), dont il suivra l’enseignement durant deux ans. En 1936, Lili Boniche, sans complexe et prêt à tout, décide de tenter sa chance à Radio Alger. Il rassemble quatre de ses amis avec lesquels il a l’habitude de jouer et se présente crânement au portier de la radio, son luth sous le bras. L’homme n’a pas l’intention de faire entrer ce gamin, mais se laisse fléchir par sa force de conviction et prévient le directeur qu’un jeune chanteur est là, qui veut passer une audition. Monsieur Azrou, qui dirige alors Radio Alger, accepte d’accorder cinq minutes au garçon, qui appelle ses amis. Les voilà en studio. Passent les cinq minutes et Lili chante; au bout de dix minutes, il commence à s’inquiéter de l’absence de réactions du directeur; quinze minutes s’écoulent qui lui paraissent une éternité; enfin, au bout de vingt minutes, il voit derrière la vitre monsieur Azrou lui faire signe d’arrêter. Celui-ci fait irruption dans le studio et s’adresse au chanteur: “Écoute, mon petit, la semaine prochaine tu as ton émission!” Dès lors, la voix de Lili Boniche sera diffusée en direct chaque semaine dans toute l’Algérie. À 15 ans, sa carrière est lancée.

Ses premières prestations radiophoniques sont constituées de pièces tirées du répertoire arabo- andalou des grandes traditions oranaise et algéroise. Grâce à son émission, la réputation de Lili Boniche grandit en quelques mois. Il est bientôt sollicité de toutes parts pour animer des fêtes: mariages, baptêmes, barmitsva, etc. La radio nationale lui fait aussi bénéficier de son orchestre qui rassemble certains des meilleurs musiciens d’Algérie, comme le pianiste et chef d’orchestre Mustapha Skandrani, le violoniste Abdel Rahni ou Arlilo, joueur de derbouka réputé. À la fin des années trente, sa voix d’or est réclamée dans toute l’Algérie. Avec la guerre, les goûts du public vont évoluer. Les troupes américaines, débarquées le 8 novembre 1942, se regroupent en même temps que les forces françaises libres pour préparer l’assaut en Méditerranée. Saoud El Medioni fera partie des nombreuses victimes de la barbarie nazie. Alors qu’en 1937 il a ouvert un cabaret rue Bergère à Paris, il sera pris dans une rafle à Marseille, le 23 janvier 1943, déporté puis gazé au camp d’extermination de Sobibor. Une perte considérable pour tant de mélomanes et de disciples.

Un savant mélangeur de genres

En temps de guerre, on demande aux artistes de regonfler le moral des troupes. La nature enjouée de Lili Boniche l’y porte tout naturellement. Ainsi se produit-il devant les combattants de la Résistance à la demande de leurs généraux, Moraglia, chef des FFI, Pierre Weiss, etc. Au théâtre aux armées, à l’Opéra d’Alger, il chante aussi devant les soldats américains, pour lesquels il créera une chanson sur le chewing-gum...Ouvert aux nouvelles danses venues d’Amérique et des Caraïbes, Lili Boniche introduit les rythmes du tango, du paso-doble ou du mambo dans son style musical, agrémentés de paroles franco-arabes. Ces nouvelles créations intégreront son répertoire pour les fêtes. En effet, il a constaté que le public pique du nez surles coups de minuit, après deux ou trois heures de musique classique arabo-andalouse. Avec ces chansons, qui tiennent le public éveillé jusque tard dans la nuit, le jeune chanteur donne le ton. Son nouveau style francarabe explose bientôt des deux côtés de la Méditerranée.

La guerre terminée, Lili Boniche est engagé au Soleil d’Algérie, un cabaret de la rue du Faubourg-Montmartre à Paris, où il se rend pour la première fois en 1946. Parmi toutes les célébrités qui fréquentent l’établissement, François Mitterrand, alors député, s’entiche des chansons du crooner algérien. Celle qu’il adore par-dessus tout, c’est L’Oriental. La joie renaît dans ce Paris de l’après-guerre. Une phrase attrapée au vol ou un bon mot suffisent à nourrir l’inspiration du chanteur. À 26 ans, Lili Boniche est porté par le tourbillon de joie qu’il contribue lui-même à créer. Jeune et beau, il plaît aux femmes. Un soir, c’est le coup de foudre! Elle se prénomme Marthe, elle est d’une élégance folle, elle porte le titre de comtesse et elle est l’épouse d’un richissime armateur. Un amour dévorant, exclusif, s’empare des deux amants. Mais il ne peut se satisfaire du métier du chanteur...Marthe va quitter son mari pour Élie, Élie devra quitter la chanson !

Dans les années cinquante, Lili Boniche met fin à sa première carrière musicale en France, mais continue de chanter à Alger, où il rachète quatre salles de cinéma en perte de vitesse. Il les relance grâce à son talent de programmateur et les gérera avec succès jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. Mais il aura déjà quitté son pays natal avant le grand exode des Juifs et des pieds- noirs. Installé à Paris au début des années soixante, il acquiert d’abord un restaurant avec des amis, puis monte une société de repas pour entreprises et collectivités, Le Menu parisien, qui emploiera jusqu’à 180 personnes à l’apogée de son activité. Il pratique la musique en privé, souvent accompagné de ses anciens musiciens d’Alger avec lesquels il a gardé d’excellentes relations. Il est souvent sollicité pour chanter dans les fêtes de la communauté. Et c’est au sein de celle-ci qu’il rencontre l’âme sœur, quand son premier mariage commence à battre de l’aile. Avant le milieu des années soixante, Lili Boniche a divorcé et s’est remarié avec celle qui l’accompagnera jusqu’à la fin de ses jours.

Un retour sur scène tardif et inespéré

Sa deuxième carrière de chanteur, Lili Boniche l’entame en 1990. Il vit à cette époque une retraite tranquille et méritée, après avoir monté une entreprise de fournitures de bureau dans les années soixante-dix, puis avoir commercialisé les premières mini calculatrices de la société Commodore France. Certes, il continue à donner de petits concerts privés, mais l’opportunité qui lui est offerte d’un retour à la musique en professionnel lui apparaît comme un vrai cadeau. Son retour, il le doit à Francis Falceto. Mélomane, journaliste, homme de culture, celui-ci rêve d’entendre à nouveau sur scène la vedette du style francarabe dont il adore les disques. “Quand j’ai débarqué chez lui, je crois que c’était une grande surprise pour Lili. Ni lui, ni moi ne savions si ça allait prendre. Dès le début ça s’est bien passé dans le rapport au public (...). La greffe a pris tout de suite”, explique-t-il. Parmi ses accompagnateurs, Lili Boniche retrouve le pianiste Maurice El Medioni, neveu de Saoud l’Oranais et autre retraité bientôt célébré par les professionnels et les publics internationaux des musiques du monde. Avec le violoniste Maurice Selem, ils vont tourner dans toute l’Europe et s’envoler jusqu’au Japon. Afin que l’aventure prenne sa pleine dimension, un disque reste à faire. C’est Jean Touitou, pape de la mode, qui décidera de le produire en 1996. Il porte une profonde admiration au chanteur de 75 ans installé à Cannes, et confie la direction artistique de l’album à Bill Laswell, bassiste et producteur américain réputé pour la finesse de ses goûts en matière de world music. Grâce à ces deux admirateurs, la musique de Lili Boniche pénètre les milieux les plus branchés de la toute fin du XXe siècle. Adulé des publics qui l’acclament au Barbican de Londres comme à l’Olympia de Paris ou à travers l’Europe (Allemagne, Belgique, Suède, Suisse, Italie, Espagne, etc.), le chanteur savoure ce succès formidable avec gentillesse, humour et humilité, au-delà de ses 80 ans. À chacun de ses concerts, l’émotion était au rendez-vous. Quand Safinez Bousbia contacte la fille de Lili Boniche pour lui demander s’il souhaite participer à l’aventure El Gusto, le chanteur n’est plus en mesure de monter sur scène. Bien qu’il n’ait pas pu régaler les foules au sein du grand orchestre, certaines de ses plus belles chansons figurent à son répertoire. Ainsi, son œuvre lui survit.


#4

Lili Boniche, on l'appelle l'Oriental
by Zoé Lin
L'Humanité June 8, 1999

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Dans les années trente, adolescent, il devient la star de la chanson algéroise. Malgré des absences et des errances, Lili Boniche demeure à jamais le crooner de la Casbah. Son retour à l'Olympia est un événement à ne pas rater.

Pour les uns, mythe vivant de la musique arabo-andalouse. Pour Enrico Macias, "un patrimoine" de l'Algérie. Pour les plus jeunes, la découverte d'une chanson françarabe orientale, un tantinet kitsch et très mode. Pour tous les autres, juifs, musulmans ou chrétiens, Lili Boniche, c'est l'enfant de la Casbah, l'enfant de la balle, parti de rien et "qui transforme en or tout ce qu'il touche". "Je suis né dans la crépine!", ajoute-t-il le plus sérieusement du monde. Lili Boniche adore se raconter, non pour vous en mettre plein la vue. À son échelle, il n'a plus rien à prouver. La vie lui a tout donné: gloire, femmes, argent. On pourrait s'attendre à rencontrer un vieux monsieur à qui on ne la fait pas: pensez donc! Il émane de sa personne un plaisir contagieux de chanter, de rire et de s'amuser. Une élégance naturelle que seuls quelques-uns, voyous au cour d'or, portent avec une aisance rare. Boniche aime les pompes bicolores, les costumes taillés sur mesure et les belles femmes ; les grands orchestres et les mondanités. Il aime aussi les bas-fonds, les petites salles enfumées et louches. Et par-dessus tout le peuple algérois, ses frères; Alger, sa ville; l'Algérie, son pays.

À la fin des années trente, il est un des personnages les plus populaires de son pays. Après avoir suivi l'enseignement du haousi par l'un des principaux maîtres, Saoud l'Oranais, il y fait ses premières gammes aux côtés de Reinette l'Oranaise, il maîtrise à la perfection le répertoire de la musique traditionnelle arabo-andalouse. Excellent joueur de luth, il intègre quelques sociétés classiques comme la Moutribia et El Moussilia. À quinze ans, il présente, au culot, un projet d'émission hebdomadaire au directeur de Radio-Alger qui, séduit par le bonhomme, lui confie l'antenne. Ce rendez-vous lui confère une réputation et une aura qui ne le quitteront jamais. Il écrit des dizaines de chansons, "Elles me venaient toutes comme ça, sans réfléchir" et les chantent à l'antenne. Il fait dans le tango, le paso doble, le mambo - tous les rythmes en vogue - et leur originalité réside dans cette sonorité orientale unique. Il les enrichit de phrases mélodiques typiquement arabes. Il crée la chanson populaire algéroise, subtil mélange de mélopées juives et gitanes, d'airs glamour et de flamenco, précurseur du chââbi. Lili Boniche devient une star à Alger. Il ne lui reste qu'à partir à la conquête du rêve américain. Quelques prestations dans des cabarets en font la coqueluche du tout-Paris.

Cherchez la femme. C'est à cause d'une comtesse qu'il arrête de se produire : "Elle ne supportait plus toutes ces femmes autour de moi." Boniche tourne la page, on est au début des années cinquante, achète un, puis quatre cinémas à Alger, fait d'incessants allers-retours Paris-Alger. Surviennent les "événements". Ses salles subissent le contrecoup des tensions et se vident. Au moment de l'indépendance, l'Etat Algérien les confisque. Il s'installe définitivement en France. Touche-à-tout, il se lance dans la restauration, réussit sa première reconversion. Change quelques années plus tard de casquette et devient représentant en matériel de bureau. De tout cela, il parle sans l'once d'un regret. Il sourit à l'évocation de son passé même si, au seul souvenir d'Alger la Blanche, ses yeux se voilent très légèrement. Il balaie tout ça d'un revers de main, "Mektoub", c'est le destin.

Il continue, malgré ses obligations professionnelles, à se produire au cours de soirées privées. "Jusqu'à la fin des années quatre-vingt, la communauté juive me demandait tout le temps. Ça payait très bien!" Guerre du Golfe, crise, Lili Boniche chante ailleurs, au Japon, en Allemagne, en Italie. Puis, on entend ses chansons au détour d'un film, d'un documentaire. Dans le Grand Pardon, la Vérité si je mens, ou Mémoire d'immigrés. Jean Touitou, patron d'APC, une maison de couture atypique, lui propose d'enregistrer un album. Bill Laswell est à la production. Lili Boniche exulte: "C'est l'Américain qui a effectué le déplacement!" L'enregistrement doit se dérouler sur huit jours: "En 48 heures, c'était fini. Ils en sont restés babas." Il prend l'air d'un garnement qui vient de jouer un tour. Une première soirée plus ou moins privée à l'Elysée-Montmartre. Une apparition pour les Folles Nuit du Ramadan. Boniche ne se contient plus de joie. Grand pro devant l'éternel, le public qui se presse succombe à son charme de crooner oriental. "À la fin de la représentation, les femmes se sont précipitées sur moi. Elles voulaient toutes me toucher. Le soir, j'ai retrouvé des dizaines de numéros de téléphone qu'elles avaient glissés dans mes poches."

L'Olympia l'accueille pour un concert unique. Lili Boniche trépigne d'impatience. Il n'a toujours pas résolu la couleur de son costume. Le voilà reparti sur les traces de sa mémoire. "Si vous saviez comme ils m'aimaient les Arabes...Mes meilleurs amis étaient les Arabes d'Alger". Avec son ami d'enfance, le pianiste Mustapha Skandrani, son violoniste Abdelrami, ils ont écrit les plus belles pages de la chanson populaire algéroise. Sans jamais se renier, ils ont inventé une musique métissée aux couleurs de leur pays. Lili Boniche a pratiqué la chanson comme un art mineur, sans le savoir. L'aspect désuet de ses chansons, légèrement décalé, son personnage de crooner, loin de toute nostalgie, laisse espérer d'autres possibles.

#5

Here are some high points, very briefly. Born and raised in Algiers, his father a Berber, a fine mandole player. Lili started playing mandole very young. At 10 he apprenticed with the Oran haouzi master Seoud l'Oranais (family name: Medioni), for three years, where he learned the Andalusian tradition. He returned to Algiers and studied at the Moutribia and El Moussilia music societies, learning from the likes of the masters Mohamed Chitane, Lili Labassi and Mahieddine Bachtarzi. At 15 he began doing weekly broadcasts on Radio Alger. He immediately became well known and much in demand to play at weddings and other festivals. His "orchestre" included renowned pianist orchestra head Mustapha Skandrani, violinist Abdel Rahni and Arlilo on derbouka.

During the war he played for both the French resistance and the US troops. Tastes changed and Boniche evolved. There are two stories here: one, that it was the US influence that brought about his invention of the "francarabe" style, mixing in mambo, tango, paso-doble but maintaining an "Oriental" base, all the while reflecting that he was steeped in the Andalusian tradition. The other is that after a night of performing the classical tradition for several hours, after midnight it was time to give the audience a break and play some lighter fare.

Boniche was very popular throughout the forties, in both Algeria and France, but he gave the music business up for love, in 1949, and returned to Algiers to go into business. (He still performed privately.) He was forced into exile in France in the early sixties, and was a successful businessman there too. (But he continued to play for Jewish community feasts.)

In 1988 or 1990 (both dates are given) he re-launched his music career, performing in Europe and Japan with violinist Maurice Selem, and sometimes worked with Orani pianist Maurice El Medioni. His recording with producer Bill Laswell in 1996, Alger, Alger, launched him on the world music and very hip touring scene. By the time the El Gusto project was launched, however, he was not physically able. It's too bad, he would have been perfect.

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